Par les monts, dans le dur, passant murs et sommets,
Ils rouleront heureux en pays des merveilles.
Les chambres à air percées et le pneu plumé,
en perdront leur pouvoir face à ce Jean qui veille !
Vendredi 21 juin : Beauzac – Lavoute Chilhac : 160 kilomètres.
Ce premier jour de l’été, où l’on fête la musique, ne donne pas le son, n’en donne pas le ton : La température semble bien fraîche et ce petit vent aigre n’est pas de saison. Quelques nuages, à l’innocence sournoise, courent dans le ciel. Ah ! Pourvu qu’il ne pleuve pas lors de cette première étape du troisième tour de la Haute Loire !
C’est une chance : Pierrette et Jean Claude vont participer à cette belle randonnée organisée par leurs amis de l’amicale cycliste de Beauzac. Sur le parking de la salle polyvalente, l’on s’affaire déjà. Jean Pierre officie au fourgon où se rangent les bagages. Ce cycliste, dispensé de vélo par un genoux récalcitrant, a accepté ce rôle ingrat, particulièrement utile, de transporteur accompagnateur de l’expédition. Tous pourront apprécier la qualité de ses services.
Afin de respecter les règles de sécurité sur la route, les vingt deux participants ont été partagés en deux groupes. La première équipe va démarrer à 6 h 45. La deuxième, celle des rapides, des costauds, partira une demi heure plus tard. Les invités, Serge, Alain, ont choisi la première fournée. Les Cardi, tout autant, prendront ce bon wagon.
L’heure approche ! Jean regroupe ses cyclistes, quand arrive, à grande allure, Nadine qui ne sera pas en retard ! Sur la photo, il ne manquera personne ! Jean François, ce président qui ne néglige rien de ses obligations, accompagnera ses troupes en début de parcours.
Dès le premier kilomètre, les routes sont montantes. Daniel prend les commandes. Ce sage propose une allure raisonnable, régulière et confortable. Pierrette apprécie ce démarrage en douceur. Suzanne, qui grimpe avec l’aisance d’une libellule, tourne ses manivelles avec une facilité étonnante. Nadine, qui pourtant ne freine pas, ronge son frein et attend son heure : Les dames de la troupe ne dépareillent, en rien, l’homogénéité harmonieuse de la troupe.
S’il faut présenter les pédaleurs, Jean, Maître à pédaler, Maître à penser, ne peut être oublié. Sa gestion de l’effort est un exemple, un modèle pour tous. Jean Claude, celui là n’est pas le mari de Pierrette, devrait s’inspirer de la souplesse du pédalage de Maître Jean. Ainsi, il utiliserait bien mieux sa puissance, la détermination obstinée et volontaire de sa grimpée.
Est-ce que Pascal conduit son vélo comme jadis ses machines ? Ce jeune retraité, mécanicien de locomotives, a quitté les rails depuis peu. La route paraît, tout autant, parfaitement lui convenir. S’il faut parler retraite, Serge, qui connaîtra bientôt cette sinécure, préfère, pour l’instant, ouvrir la route sur cet itinéraire qu’il connaît parfaitement.
Pas de doute : Ce Louis c’est un pur sang ! Fin et racé comme un cheval de course, il laisse percevoir dans la vivacité de ses gestes, une énergie frémissante prête à s’épanouir !Il a connu la vie rude et laborieuse des agriculteurs de montagne. Un genou douloureux a réclamé opération et pose de prothèse. Venu au vélo par souci de rééducation, pas de doute, la rééducation est parfaitement réussie ! Marc, son ami, tente de ne pas perdre sa roue arrière quand monte la route. Si Marc perd quelques mètres sur Louis, il reviendra dans la descente...
Mais la route monte toujours. Ils devront franchir la côte abrupte des genêts d’or, avant de découvrir, sur le plateau, un chemin vallonné vers Saint Pierre Du Champ et Chomélix. Nadine, attentive à tout, apercevra une biche qu’elle montrera de l’index à ceux qui ne l’ont pas vue.
Une petite route aux charmes champêtres et forestiers, partant vers Julliange, offrira à Suzanne, Nadine et Pierrette l’abri discret d’un joli bois dont on ne révélera pas les secrets...
A la Chaise Dieu, où il fait toujours aussi froid, ils ne s’attarderont pas ! Aux portes de Saint Alyre d’Arlanc, en Puy de Dôme, Serge et Nadine tenteront, sans réussir, une première erreur de parcours, vite corrigée par une consultation attentive des cartes de route.
Avec précision, elles signalent un changement de direction à ne pas manquer. Jean transmet la consigne : « Un kilomètre avant Laval Sur Doulon, il faut bifurquer à droite sur une petite route virant en épingle pour arriver à Saint Vert ! Ne la loupez pas ! »
A travers de belles forêts, par des lacets qui serpentent agréablement dans l’éclat de la verdure, ils cheminent sans hâte quand la route monte, puis abordent à bonne allure les descentes. Les plus rapides, les impatients, vont devant. Sagement, un groupe ferme la marche, attentif au respect de l’itinéraire.
Ce carrefour pouvait surprendre. Il surprendra ! Emporté par son élan, un trio ne l’a pas vu ! Jean ne paraît pas s’en inquiéter outre mesure : « Nous les retrouverons plus loin ! » Ce chemin qui semble oublié des hommes, méritait bien que l’empruntent ces cyclistes amoureux de la nature.
Suzanne constate soudain sans plaisir : « J’ai crevé ! » Ces messieurs s’empressent à la réparation, et tentent de consoler la malchanceuse qui proteste : « Vraiment, je n’ai pas de chance : Un pneu tout neuf ! » Ah ! Les épines du chemin ignorent une juste logique et oublient un rien de galanterie. A coup de pompe, le mal sera bien vite oublié.
Pierrette, qui se soucie de son amie, l’intrépide Nadine partie ailleurs, apprend par téléphone qu’elle n’est pas trop loin. Elle décide d’aller à sa rencontre malgré les réserves exprimées par son mari : « N’en fais pas trop ! L’étape est encore longue ! »
Pendant que la roue de Suzanne, roue arrière comme il se doit, s’enchaîne à son cadre un instant abandonné, le groupe des costauds s’annonce. Le fourgon le suit de près. Jean Pierre s’empresse d’empoigner la pompe à pieds pour rendre au pneu de Suzanne la pression réglementaire.
La montée vers Champagnac Le Vieux va disperser les cyclistes en petits groupes de niveau. A l’avant, les rapides escaladent la pente avec une facilité que d’autres leur envient. Jacques, Denis, Fred, Christian, et d’autres que les Cardi ne connaissent pas, franchissent la bosse avec un bel entrain.
Stéphane, toujours aussi énergique, ne ménage pas sa peine, ses forces et son vélo. Sa forme paraît bien meilleure que lors de la précédente édition du tour de la Haute Loire. Le groupe qui ferme la marche n’aura pas la chance de rouler souvent en sa compagnie. Il regrette : Sa bonne humeur, sa gentillesse, sa camaraderie en font un compagnon de route particulièrement agréable.
A l’arrière, un groupe paisible négocie la difficulté sans empressement superflu. Jean donne le ton, marque l’allure. Daniel n’est pas si loin. Suzanne pourrait grimper plus vite, mais, sage et prudente, elle est là. Pierrette estime que cette cadence lui convient parfaitement et Jean Claude est à son côté.
Parfois devant, soudain derrière, l’autre Jean Claude de la bande écrase de toute sa force des pédales récalcitrantes. Sans que rien ne l’annonce, brusquement, il s’octroie un temps de roue libre au plus raide de la pente, provoquant ainsi un ralentissement imprévisible ! Gare à qui le suivra de trop près ! Pas de souci : Sans mettre pied à terre, les Jean Claude sont repartis !
A Champagnac le Vieux, les perdus se retrouvent. Une descente magnifique sur la vallée va ouvrir les appétits. A Vergongheon, le restaurant qui les reçoit pour la troisième fois, leur a préparé une grande table sur la terrasse. Denis, mémoire vivante de l’épreuve, note à haute voix : « Cette année encore, nous avons pour nous le beau temps et nous prenons notre repas en terrasse ! »
Beau temps, belle terrasse, bon appétit, belle réussite de cette première demi étape lors de laquelle les compteurs annoncent 101 kilomètres, distance en parfait accord avec les prévisions des organisateurs. L’après midi, les kilomètres à couvrir, moins de soixante, ne s’annoncent pas comme une épreuve insurmontable !
Le menu est abondant, les plats sont savoureux, parfaitement adaptés à l’effort. Les tagliatelles sont servies à volonté et il en faudra pour apaiser les fringales de ces ogres pédalant. L’ambiance, joyeuse, amicale, s’anime de mille remarques qui fusent de l’un à l’autre. Suzanne, qui déjà pense à l’étape, s’informe en toute innocence : « Ce soir, je couche avec qui ? » Que personne ne s’en alarme, ce soir Suzanne fera chambre commune avec Nadine ! Mais, même si l’étape qui les attend n’est pas très longue, il faut partir maintenant.
Les bidons se remplissent, les casques sont coiffés. Un cri de surprise alarme la sérénité confiante du doyen de l’équipe : « Jean Claude ! Jean Claude ! Viens voir ! » Devant le vélo de Pierrette, des doigts accusateurs montrent son pneu arrière ! Une bosse de mauvaise augure enfle et effiloche le cœur du pneu ! Avant qu’il cherche, et trouve, dans son sac un pneu en réparation, Jean propose : « Prends celui ci. Il est neuf ! Tu me le rendras quand tu pourras ! »
Bénissant la prévenance de son ami, il effectue la réparation, admirant au passage la qualité de l’objet. Un deux cent grammes ! Jean Claude doit-il dire qu’il n’utilise plus ce type de pneumatique haut de gamme ? Pierrette, sans doute, en pédalerait encore mieux !
Quand on fait bombance, la digestion apprécierait une courte pause, une méridienne au sommeil bref, une remise à neuf, en quelque sorte. Les cyclistes, comme leurs roues crevées, souhaiteraient une prompte réparation de leurs usures. Partant vers la vallée de l’Allagnon, ils ne dorment pas, sans pour autant battre la charge.
Léotoing, ce village médiéval au château si haut perché, ne se gagne pas la fleur au fusil. Une pente abrupte exige des efforts que chacun dose en fonction des forces dont il dispose encore. Les costauds, Max, Antony, Jacques, Denis, Fred ou Guillaume, le sommet franchi, amorcent un demi tour et s’en vont à la rencontre de ceux qui s’échinent encore dans le plus raide de la pente aux sévères pourcentages.
La vallée de l’Allier, qu’ils doivent atteindre bientôt, c’est de la plaine si l’on en croit Jean Claude. Au diable ces vieilles personnes qui trompent la jeunesse ! Au delà de Saint Just, un véritable col est encore à franchir. Ils vont tenter de passer en souplesse, avec un coup d’oeil d’envie à ceux qui grimpent allègrement ignorant la fatigue.
En ordre dispersé, ils arrivent enfin au port, au bord de l’eau, au village de vacances de Lavoute Chilhac. Après la dégustation particulièrement bien venue d’un grand verre de jus de fruit offert par la maison, Jean Pierre distribue les clés des appartements. Les vélos sont garés dans une salle prévue à cet usage, les cyclistes, par groupe de cinq, s’installent de leur mieux dans leur abri.
Les Cardi, privilège de couple, bénéficient d’un grand lit et d’un espace privatif. Après la douche, ils se calent confortablement, jambes allongées, et tentent de lire paisiblement. Ils vont très vite s’endormir ! D’autres, bien plus vaillants, sont partis en ville et s’attableront pour un apéritif convivial et joyeux. Bien plus vaillant encore, Max va goûter, de la piscine, une eau glaciale que ce tri athlète ne craint pas !
Pierrette et Jean Claude, à l’heure du repas, pas du repos, devront être réveillés ! Serge, de sa voix grave et forte, claironnera sans pitié à leurs oreilles quand le temps sera venu. Une averse brève fera ouvrir les parapluies et revêtir les imperméables. Mais la pluie, qui a attendu, indulgente, que les vélos soient au garage, ne durera pas. D’ailleurs, le restaurant est tout près : Les parapluies se ferment quand s’ouvre l’appétit.
Le restaurateur, bien connu des gens de Beauzac, connaît bien son sujet ! Le repas qu’il propose est un modèle pour ces cyclistes au coup de fourchette redoutable. A l’heure du café, ou des tisanes, qui, parmi ces grands mangeurs, peut-il prétendre qu’il a encore faim ?
Ce soir, la fête de la musique offre dans les rues des spectacles en plein air. Un groupe partira terminer la journée en chansons. D’autres iront au lit : Demain, le petit déjeuner sera servi à 6 h 45 ! Les réveils sonneront dès 6 h. Il est temps de dormir un peu.
Samedi 22 juin : Lavoute Chilhac – Les Estables !
Aujourd’hui, l’étape sera rude, la route sera dure ! Quelques morceaux de choix, morceaux de roi, roi des grimpeurs pour tout dire, agrémentent le parcours ! A quoi bon s’en soucier avant l’heure ? Un solide petit déjeuner gommera les inquiétudes les plus vivaces, les préoccupations les plus justifiées.
Des histoires de boulanger, pas une pagnolade, troubleront la perspective, attendue par tous, d’un solide premier repas. La responsabilité du restaurateur n’est pas en cause. Il a fait ce qu’il a pu avec les moyens du bord !
La journée s’entame par une ballade touristique de belle qualité : Les gorges de l’Allier, passant par Langeac, Saint Arcons, Chanteuge, offrent une promenade matinale pleine d’attraits. Cette petite route étroite, jonchée de feuilles, butte soudain sur un chemin de terre ! Erreur de parcours ! N’en faisons pas un drame. Un retour prudent vers ce pont qui saute par dessus la rivière leur permet de prendre le bon itinéraire. Prades n’est plus très loin : Les mécaniques vont subir un rude examen.
En Direction de Lavial Destour, Serge montre le chemin. Il prévient : « Après deux cents mètres de plat, c’est un mur ! Huit cents mètres avec 15 % en moyenne ! Puis trois kilomètres à 12 % ! » Sagement, il conseille : « Mettez tout à gauche tout de suite et... bon courage ! »
Du courage, il en faudra ! Mais encore, de l’énergie, de la puissance, de la persévérance ! Ici, pas question de jouer les bons bergers, les accompagnateurs fidèles et efficaces. Il faut se concentrer sur son effort, ne pas lâcher la pression sur les pédales et si, tirant sur les bras, la roue avant se soulève, tenter de se dresser au dessus de la selle pour une danseuse risquée et hasardeuse.
Jean Claude, celui de Chamalières sur Loire, paraît être bien parti. Brusquement, il quitte la route pour l’amorce d’un chemin. Redoutant d’être obligé de mettre pied à terre, il s’aperçoit qu’il ne peut déchausser et choisit donc de tomber dans l’herbe. Pierrette roule tout à droite. Ainsi, dira-t-elle, si il ne m’est pas possible d’éviter la chute, je ne tomberai pas dans l’abîme !
Suzanne, dont les qualités de montagnarde ne sont plus à démontrer, préfère la marche à pieds. Cette montée, qu’elle était parfaitement capable de franchir, l’effraye ! Marc monte en zigzag : Un coup à droite, un coup à gauche ! Mais il monte ! Louis, tout à l’énergie, fait parfois de la roue arrière. Quant à Daniel, après avoir arraché son pied gauche d’une cale défaillante, il ne pourra pas réenclancher et tombera à droite ! Quelques écorchures, dont il ne se plaindra pas, marqueront coude et genou.
Là haut, après le sanctuaire qui se cache dans la verdure, ils arrivent l’un après l’autre et commentent, chacun à sa façon, ce difficile passage. Denis, qui a tracé le parcours, avoue un peu confus : « Si j’avais su que c’était aussi dur, je n’aurais pas choisi de passer par là ! » Certains révèlent que leurs compteurs ont annoncé lors du plus rude : « Du 18 % ! » Jadis, Jean Claude, du Puy, a roulé sur cette route. Il lui semble qu’alors la montée n’était pas si pentue ! Les muscles de ses cuisses ont la mémoire fort sélective. ils ne se souvenaient pas d’avoir éprouvé de telles crispations dans ce mur d’escalade !
La prochaine difficulté ne promet pas un tel exercice d’équilibre instable. Après Saint Préjet, la montagne n’est pas aussi rude. Suzanne, pourtant, va être obligée d’interrompre son pédalage ! La chambre à air de sa roue avant réclame son remplacement immédiat. Jean et Jean Claude, accompagnateurs attentifs, n’encouragent pas les lamentations désolées de la dame : « Il n’y a qu’à moi qu’arrivent ces choses là ! » Mais non ! Suzanne ! La crevaison fait partie de l’activité cycliste, comme la chute d’ailleurs !. Les deux compères unissent leurs efforts, et leurs compétences, et le trio est bien vite reparti !
Malgré la vélocité de Suzanne et les relais conjugués des deux Jean, ils ne reverront l’essentiel de la troupe qu’à l’entrée de Chambon le Château. Les grimpeurs spécialistes, bien entendu, sont venus à leur rescousse. Ceux là ne craignent ni les bosses, ni les kilomètres, mais n’aiment pas, sans doute, les crevaisons.
Sur les rives du lac de Naussac, tout va mieux : La route est belle, le soleil est chaud. Bientôt, au delà de Langogne, la table sera mise pour eux dans un bon restaurant qui proposera à ces gourmets les spécialités culinaires du pays lozérien.
Alors, quand on envisage une telle récompense après 95 kilomètres d’un parcours vraiment pas si facile, la grimpée vers Lesperon, dont ils espèrent tant, se négocie tout en douceur, imaginant des assiettes bien garnies et du vin frais remplissant les verres !
Devant l’entrée d’une ferme ouvrant au cœur du village, les derniers arrivés constatent que leur peloton s’agglutine et écoute les explications d’un sympathique cultivateur : « Oui ! Ce restaurant est le seul du village ! Vous n’en rencontrerez pas d’autre avant Lanarce ! »
Mais que leur arrivent-ils ? Denis, tous peuvent lui faire confiance, a soigneusement réservé pour vingt trois personnes ! Le 22 juin, à Lesperon ! Or, le gérant n’a aucune trace d’une telle commande. Christian, pince sans rire, propose : « Tu as peut-être réservé à Lesperon, dans le Gard ? » Même si le département est limitrophe, qui d’entre eux auraient encore la force d’aller jusque là ?
Après consultations téléphoniques le mystère est enfin éclairci. Miracle des opérations informatiques : La commande a bien eu lieu... à Lesperon... Dans les Landes !
Il faut en rire, bien sûr ! Mais des cyclistes ne se nourrissent pas exclusivement de farce, de farces et attrapes !
Le restaurateur accepte de recevoir dix convives ! Les autres, les courageux que rien n’accable, poursuivront 12 kilomètres encore avant d’avoir le droit de s’asseoir et de consommer ! Max, ce rude gaillard que rien n’épouvante, demande pourtant : « S’il vous plaît, donnez moi juste une tranche de pain ! » Une tranche de pain, pour un tel athlète ? Si peu de choses lui suffisent-il donc ?
Pour Pascal, ni pain ni repas ! Une locomotive sans charbon roulerait-elle indéfiniment ?
Marc et Louis, Suzanne et Daniel, Alain et Jean Claude, même Jacques ou Christian, puis Pierrette que ne lâche pas d’une ombre son mari, vont déguster un menu de roi ! Une énorme assiette de charcuterie précédera une entrecôte tenant tout un plat, accompagnée de frites qui n’ont pas eu à être congelées, ni dégelées... Ne négligeons pas, pour autant, le fromage ni le dessert.
Ainsi lestés, ils peuvent sans risques d’hypoglycémie, reprendre la route des montagnes.
A l’hôtel des Sapins, à gauche dans Lanarce sur la route du Puy, treize affamés ont dévoré un repas gastronomique ! Ils espèrent, gaiement, l’arrivée du groupe de Lesperon qu’ils saluent d’aimable ou d’ironique façon ! Tous s’en vont maintenant vers Saint Cirgues en Montagne, village qui promet, on pourrait s’en douter à l’énoncé de son nom, quelques grimpées dont certains feront une fête.
Jean Pierre, à toutes choses utiles, ravitaille maintenant en boisson ou biscuit des randonneurs éprouvés par tant d’efforts. Comment Pascal peut-il tenir, lui qui n’a pas cru utile de passer à table ? Mécano : mets du charbon dans ta locomotive ! L’eau de l’Ardèche ne t’aidera pas dans le franchissement des bosses !
La montagne de Saint Cirgues, ce n’est rien ! Mais le lac d’Issarlès ne se gagne pas sans avoir, au préalable, peiné et sué sur une route aux pentes vertigineuses. Suzanne, qui décroche dans les descentes, reprend bien vite le terrain perdu et gomme son handicap aux premiers mètres de la rampe.
Jean Pierre, au bord du Lac, ne les invite pas à la baignade, mais leur offre un ravitaillement sur le pouce, boisson, fruits, biscuits, judicieusement bienvenus. Maintenant, il faut négocier sans précipitation la longue montée vers le Béage. Mi ombre, mi soleil, les lacets ne sont jamais trop sévères. D’ailleurs, un petit vent frais pousse discrètement et chacun économise ses forces avant les rudes pourcentages qu’ils ont encore à franchir.
Sur la place du village, Ils attendent ! Les costauds sont redescendus et vont escorter Daniel qui ferme la marche. Pierrette et Jean Claude tournent à droite, puis plus loin, plus haut s’en vont à gauche vers La Chartreuse de Bonnefoy. C’est le dernier moment de gloire de la journée... et quel moment ! De gré ou de force, il faut monter au delà de 1400 mètres ! Et de forces, ils donnent tout ce qui leur reste. Ce n’est pas de trop pour franchir de telles pentes. Ils pensent à Daniel, fidèlement escorté par Jacques, à Jean Claude qui se bat loin devant eux avec une énergie farouche...
Les Estables ! De cette étape en montagne, ils ne vont rien manquer : L’air pur des hauts plateaux, un logis au confort princier, un repas aux goûts du terroir, aux délices surprenantes et renouvelées à plaisir, à l’apéritif par Jean offert à tous. Que dire alors de ces conversations entrecroisées où l’on débat de mille sujets entre tous partagés ? Que dire enfin du long sommeil réparateur dont ils vont bénéficier ? Personne n’en racontera les rêves...
Dimanche 23 Juillet : Les Estables – Beauzac. 77 kilomètres.
Aujourd’hui, c’est un vrai dimanche de vacances ! Le réveil ne se fera pas aux aurores. L’air est vif, bon air, grand air, mais il ne gèle pas ainsi que l’avaient prévu de trop pessimistes météorologues. Le petit déjeuner en libre service est digne de ces grands hôtels qu’ils ne fréquentent guère, digne d’une bande de ces insatiables cyclistes.
Les difficultés insurmontables ne sont pas à l’ordre du jour. C’est vrai : Ils se hissent ce matin à plus de 1500 mètres d’altitude, à la Croix de Boutière, point culminant de la randonnée. Mais les 22 participants en ont franchi bien d’autres ! Les descentes, dans la fraîcheur ombreuse du matin, exigent bien plus d’attentives concentrations que cette grimpée à allure de promenade.
Au pays des marmottes, qu’ils n’apercevront pas, la route touristique du Mézenc joue aux itinéraires alpestres et propose deux cols qui n’épouvanteront personne. Ils roulent à travers des paysages dignes de rivaliser avec les plus beaux sites mondiaux. Ils en oublient les rigueurs du chemin.
Fay Le Froid, qui a perdu son beau nom tant évocateur pour ce banal Fay sur Lignon, ne renie rien de son ancienne appellation ! Le coupe vent n ’a rien de superflu par ce beau jour d’été ! Devant la fontaine aux eaux glacées, Beauzac rencontre Beauzac. Trois audacieux sont venus à leur rencontre et vont les accompagner jusqu’à l’arrivée.
En montant parfois, en descente souvent, l’allure s’emballe, comme s’emballaient, dit-on, des coursiers en vue de l’écurie ! Les cinq coqs d’Yssingeaux claironneraient-ils la charge ? La bosse des carrières va calmer quelques ardeurs et l’entrée de Saint Maurice est propice au dernier rassemblement.
Chez Denis et Nadine, Pierrette confie à monsieur une mission fort délicate : « Tu vas chercher la voiture au parking, puis tu récupères les sacs et tu reviens le plus rapidement possible ! » La consigne n’est pas si compliquée, elle peut compter sur sa diligence... son vélo, pour mieux dire.
Dernière escalade, en compagnie de ces cyclistes qu’il a appris à connaître et à apprécier. Louis, Loly pour ses amis, qu’il faut pouvoir suivre quand il monte, explique que le pique nique a lieu dans sa propriété située en haut de la bosse. Le fourgon aux bagages est chez lui.
Jean Claude trouve ses clés à l’endroit indiqué. Il s’en va à la salle polyvalente... Là, il ouvre la voiture, change de chaussures, met son vélo en place et repart vers Confolent où l’attend Pierrette. Quand il arrive enfin, en un éclair, il se rappelle : « Les sacs ! Tu as oublié les sacs ! » La douche devra attendre...
Chez Loly, c’est la fête ! Les dames ont retrouvé leurs époux randonneurs, les maris, leurs femmes pédalant. Même le soleil, qu’il faut chercher parfois, participe gaiement au repas. On raconte les péripéties du voyage ou tant d’autres choses encore qui ne seront pas rapportées ici. Ce troisième tour de la Haute Loire, c’est une bien belle réussite : Quatre cents kilomètres de route au relief montagneux, plus de six mille mètres de dénivelé positif, des gîtes d’étape parfaitement adaptés, des restaurants réservés bien au delà de tout ce qu’ils pouvaient souhaiter, cette organisation honore tous ceux qui ont oeuvré pour sa réalisation.
Gens de Beauzac, MERCI !
Quel pays étonnant, la belle Haute Loire !
Tes chemins escarpés aux vertiges donnant,
Ces randonneurs surpris gardent en leur mémoire
De Lavial Destour le mur impressionnant !
Jean Claude Cardi.